La mystérieuse porcelaine de Pontenx

La mystérieuse porcelaine de Pontenx

La mystérieuse porcelaine de Pontenx

Darnet, chirurgien à Saint Yriex et un pharmacien bordelais nommé Vilaris découvrent en1768le premier gisement français de kaolin. De nombreuses manufactures sont aussitôt créées partout en France, à Saintes, vers 1773, à Bordeaux en 1779 et à Pontenx, mais on ne connait pas exactement la date de démarrage.

L’usine est située au bourg, dans la cour de l’ancien château, derrière les écoles d’aujourd’hui. Le seigneur de Rolly s’ingénie à faire évoluer l’usine d’origine qui au début ne fabrique que de la faïence grossière. Il transporte à grands frais les matières premières d’Ixassou, Cambo et Dax par bros (charettes). La terre à cassette (moule) vient de Saint-Pandelon-les-Dax, l’économie sur le combustible compense les frais de transport. Il engage les meilleurs ouvriers de l’étranger et du centre de la France : peintres faïenciers, porcelainiers, tourneurs, mouleurs, manœuvres… Des artistes d’Italie et d’Allemagne s’y engagent. Nous connaissons le nom de certains ouvriers qui y travaillent, en1770, deux frères zurichois célèbres dans leur profession y signent leurs pièces Zp…  en1773, Muler et Dortes sont directeurs, en1776,Pierre Giraud, mouleur italien, en1779, l’allemand Zinguernaguel est directeur, Jean Chaminade de Savigny en Périgord, mouleur et Charles Delage né à Villemblat manœuvre. En1781Pierre Ricardy, faïencier quercynois et Bidot, tourneur en porcelaine, puis en1790Klein signe des œuvres qui se retrouvent au musée. En faisant venir ses ouvriers de toute l’Europe, M. le comte s’assure les meilleurs et pour les garder leur offre une participation financière : « Le sieur de Zinguernaguel, directeur de l’usine, sujet allemand, cède, le 11 juin 1781 au sieur Émile Valete, de Saint-Yriex, la participation qu’il avait dans l’usine, pour la somme de mille cent cinquante livres et dix sols ».

La production  égale Saxe ou Sèvres selon l’abbé Légé. La manufacture dePontenxest si renommée que la concurrence en recherche les ouvriers. Le procédé est courant : « Monsieur Vassier, directeur de la manufacture de porcelaine de Paludate de Bordeaux débaucha en 1789 les ouvriers de la manufacture de Pontenx ».

Les experts se contredisent et se trompent au sujet de notre fabrique de porcelaine : Vital-Mareille, qui qualifie, à tort, cette entreprise d’échec, indique comme date de création 1779-1788, Labadie donne 1779-1790. Ces contradictions s’expliquent à la lecture d’une supplique adressée au roi par le comte de Roly (publiée dans la Revue de Gascogne de 1908): «… Ce terrain abonde en bois blanc vulgairement appelé vergne (l’aulne) ce bois presque sans usage (sauf pour les sabotiers) est à peu près abandonné… Ils ne servent qu’à embarrasser les marais… Les exposants (le marquis) ont découvert que ce bois est excellent pour la fabrique de porcelaine… La fabrique est déjà établie… et les effets sont déjà si encourageants… La nature à tout fait pour l’établissement entrepris à Pontenx, une pâte également fine et solide, transparente et moelleuse, délicate et vive, donnera à la porcelaine de Pontens une célébrité que nulle autre après celle de Sèvres ne pourra mériter ».Le marquis précise ici que l’exploitation existe déjà et donne d’excellents produits. On peut en conclure que la date de création donnée en1779 correspond à celle de la demande du marquis auprès du roi pour « … introduire partout la porcelaine de Pontenx… la politique ayant voulu elle-même diriger le commerce de ces objets de luxe et de commodité ». C'est-à-dire le droit d’exporter sa production, hélas, la date de création n’est pas mentionnée dans ce texte, mais elle est forcément largement antérieure. D’ailleurs, dans le registre de l’état civil, un passage indique en1738 : « L’établissement de fabrication de porcelaine est très prospère, l’argile provient de Saint-Yriex et le kaolin d’un gisement près de l’établissement ».De plus, une faïencerie existait avant la manufacture de porcelaine.

Mais où donc y a-t-il du kaolin à Pontenx ? On en trouve encore un peu partout sur le territoire, c’est un kaolin compact et d’un grain très fin, velouté au toucher, selon les endroits il va du blanc pur au bleu léger.

Contrairement à ce propos de Vital-Mareille « … et ne parait-elle avoir fabriqué que des produits sans grande valeur», le nom de la manufacture dePontenxest synonyme de raffinement jusqu’à la cour royale, sa production est essentiellement exportée. Dans un rapport de mai1835, Mareschal, inspecteur de la Cie, écrit : « Il existait autrefois sur le domaine de Pontenx, une manufacture de porcelaine, dont quelques-uns des produits étaient gardés au château. Le kaolin se tirait de la propriété même et les échantillons manufacturés qui restent prouvent que la terre était de fort belle qualité. Une partie du four existe encore dans les bâtiments de l’ancien château… ».On trouve en1773une note qui atteste la qualité de ses pièces : « Les sieurs Muler et Dorte, manufacturiers, ont cuit une fournée de vessele qui leur a très bien réussi ; cette marchandise est trouvée parfaite, mais elle est extrêmement chère». Les anciens pontenais qui en ont vu des pièces la disaient aussi fine que la porcelaine de Sèvres, c’était une faïencerie d’exception.

Hélas, en1790, un formidable incendie détruit tout, le ministre de la justice, le sieur Duranthon, protecteur intéressé de la porcelainerie est guillotiné au même moment, on ne reconstruit pas. La brusque diminution des revenus du propriétaire cette année là, confirme la disparition de l’usine. La manufacture a-t-elle été emportée par la tourmente révolutionnaire ?

Très peu de pièces de cette manufacture sont connues aujourd’hui, il en existe une magnifique au musée d’Aquitaine, une autre au musée de la porcelaine à Sèvres. On signale également une « tasse conique couverte à deux anses, soucoupe trembleuse entièrement décorée d’un treillis bleu et or avec la marque : G Pontenx », au début du XXe siècle, elle faisait partie de la collection Dupont. Quatre petits bustes représentant les saisons, marqués « Ponteinx, le 10 jouin 1790 Klein » appartenaient à l’avocat bordelais Henry Brochon. On connait une autre pièce marquée « Ponteur1779, signé Perchain ». Cette rareté s’explique par la courte existence de la porcelainerie et par le fait que sa fragile production est destinée à l’exportation ou aux grandes fortunes.

Il est évident que la faïencerie de Pontenx occupe une place à part parmi celles moins confidentielles du Sud-ouest. Même la signature de l’établissement n’est pas connue, il y en eut plusieurs. Outre celles dont nous venons de parler, parmi les signatures non identifiées, on retient deux V croisés et plus sûrement deux flèches légèrement croisées dans le bas, les deux marques sont faites à la main en bleu. Sa finesse vaut une marque de fabrique : vérifiez vos vaisseliers !

Pour conclure, il ne reste qu’à citer André Bernède : « Quoi qu’il en soit, la manufacture de porcelaine de Pontens est la seule qui ait existé à cette date dans le département des Landes, avec celles de Bordeaux et de Ciboure et dont les exploitants furent des émulateurs prestigieux bien qu’inconnus de nos jours ».

La vie d’un porcelainier pontenais.

Un document découvert aux archives départementales de Dordogne nous apprend que des peintres et maîtres-peintres se déplacent d’une faïencerie à l’autre : Bergerac, Meillonnas, Saint-Yriex, Libourne, Le Fleix…Pontenx,  pour vendre leur art. On peut suivre la trace de l’un d’eux.  Joachim Perchain est né en1755à Bergerac. Il est maître tourneur en1778àPontenx, c’est un « maître-peintre », titre attribué aux meilleurs.

Ces artistes doivent attendre la vente de leur production pour être payés. L’extrait de la lettre que le sieur Dufaux fils, directeur de la fabrique dePontenx,adresse à Joachim l’illustre bien : « … Depuis votre départ de Ponteur, je suis esté deux fois à Bordeaux, je me suis présenté chaque fois chez monsieur de Rolye pour prendre les 45 livres que vous me restiez (devoir) ; il m’en a pas tenu nul cas, que sy non il me fit pour réponse, quand il serait à Ponteur qu’il verrait sy cela m’était dhu… Parce que vous me dite que vous devais vous rendre icy au premier jour, pour cuire le restant de la porcelaine, j’en suis flatté. Je souhaiterai que vous y puissiez prendre d’autres arrangements pour vous y établir pour bien du temps… Le Sir Théodore Esvar se rendit icy la semaine dernière pour vous venir chercher avec un mouleur et un garnisseur, pour travailler à une nouvelle fabrique qu’il établi à Pontons (Pontonx-sur-l’Adour) »…Quand Joachim Perchain devient directeur de la fabrique de Marsac en1780,il a 24 ans,  ne sait ni lire ni écrire et comme son ami Dufaux, il est franc-maçon.